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Transformation numérique de l’action publique : une dynamique en marche
Date de publication 28.05.2025 . 👁 10 min
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Article . Date de publication 28.05.2025 min . 👁 10 min
Une question ?
Le 15 mai dernier, Docaposte, filiale numérique du groupe La Poste, réunissait près de 250 décideurs publics et parapublics, experts et acteurs du secteur pour une matinée dédiée à la transformation numérique de l’action publique. Un enjeu devenu stratégique face aux exigences croissantes de performance, de sécurité et de souveraineté. Retour sur cette matinale rythmée par trois tables rondes et des moments conviviaux.
Depuis plusieurs années, l’action publique est engagée dans un mouvement de transformation numérique profonde. Cela pour mieux répondre aux attentes des citoyens, des agents et de la société, tout en renforçant la performance et la sécurité des services publics. En ouverture de la matinée, Olivier Vallet, Président-Directeur Général de Docaposte, a rappelé comment un opérateur public engagé comme Docaposte peut accompagner la réalisation de cet objectif. « Notre vocation chez Docaposte, c’est de proposer des alternatives pour avoir le choix. Nous sommes convaincus qu’offrir une troisième voie, celle d’un numérique souverain porté par des champions européens, est possible. »
Cette vision se traduit par la volonté d’agir concrètement et avec détermination en faveur d’un numérique éthique, responsable, porteur de sens pour aider les acteurs publics à être plus efficients et servir l’intérêt général – notamment en leur garantissant la sécurité des données grâce à des infrastructures souveraines et en offrant des parcours inclusifs.
Au-delà de l’impérieuse nécessité de la souveraineté, Benoît Parizet, Directeur Général Adjoint de Docaposte en charge du Secteur Public, a mis en lumière les autres grands défis auxquels les acteurs publics sont confrontés : multiplication des cyberattaques, impératif de sobriété numérique, accessibilité des services, gestion et fidélisation des talents, mais aussi lutte contre la fraude, la maîtrise budgétaire et la simplification des processus administratifs. Ces trois derniers enjeux ont fait l’objet des trois tables rondes de cette matinée riche en échanges. Tour d’horizon des principaux enseignements de ces tables rondes.
Les intervenants :
Selon Guéric Jacquet, Partner Leader Secteur public chez EY France, la fraude sociale, douanière ou liée aux aides publiques représenterait un préjudice annuel estimé entre 50 et 120 milliards d’euros. Cette somme significative rappelle à quel point lutter contre la fraude est un enjeu majeur pour les acteurs publics.
Pour y faire face, les leviers sont multiples : croisement des données, sécurisation des parcours d’authentification, API, utilisation maîtrisée de l’intelligence artificielle, datamining… Autant d’outils qui permettent de renforcer les contrôles tout en préservant la simplicité d’usage pour les citoyens. « La sécurité ne doit pas être synonyme de complexité » a tenu à souligner Guillaume Poupard, Directeur Général Adjoint de Docaposte en charge des actifs technologiques de confiance, de sécurité et de souveraineté numériques. D’où l’importance d’intégrer des briques de sécurité by design, garantes à la fois de l’interopérabilité des systèmes et de confiance numérique.
C’est avec ce même principe que l’Union Retraite s’est appuyée sur Docaposte pour déployer une solution de reconnaissance biométrique permettant aux 1,2 millions de retraités français vivant à l’étranger de certifier leur existence sans se déplacer. « Même si le secteur de la retraite est peu exposé à la fraude, les risques se sont intensifiés, notamment sur les vérifications des identités. Il nous fallait trouver une solution sécurisée et simple pour ce type de démarches administratives à distance », témoigne Richard Bordignon, Directeur Général de l’Union Retraite.
Au-delà de la lutte contre la fraude, la question de la cybersécurité s’impose comme un enjeu central. D’autant plus au regard de l’ampleur des cybermenaces, desquelles les acteurs publics restent des cibles de choix. « 350 000 délits sont liés à la cybercriminalité en 2024 et les institutions publiques ont enregistré 15 à 20 % d’augmentation ces trois dernières années », a déploré Cédric Collard, Général et Chef de direction au sein de l’Agence du Numérique pour les Forces de Sécurité Intérieure. Une souveraineté qui conditionne la résilience des systèmes publics, leur capacité à maîtriser les technologies, résister aux cybermenaces, mais aussi la confiance des usagers.
Sarah Lacoche, Directrice Générale de la DGCCRF, a rappelé à ce titre l’importance croissante du numérique dans la protection des consommateurs, notamment face aux faux sites et pratiques manipulatrices sur les plateformes en ligne.
En toile de fond, un message clair : le choix des opérateurs technologiques est déterminant pour garantir un numérique de confiance. C’est à cette condition que les administrations pourront conjuguer performance, innovation et sécurité, immunisées contre les risques de fraude.
Les intervenants :
Alors que les budgets sont de plus en plus contraints, les attentes des citoyens sont croissantes. Aussi, les acteurs publics doivent redoubler d’agilité pour poursuivre leur transformation numérique. Selon Martine Gouriet, Directrice de la transformation numérique, usages et innovation chez EDF, cela relève d’un double défi : conjuguer efficacité opérationnelle à court terme et souveraineté à long terme. Pour autant, elle alerte sur la dépendance technologique à certains fournisseurs étrangers, qui peut engendrer des coûts considérables. « La croyance en l’absence d’alternatives est un mythe véhiculé par les lobbyistes », insiste-t-elle.
Henri Pidaut, Président du fond 574 Invest et Directeur des actifs numériques au Groupe SNCF, appelle de ses vœux l’émergence d’un champion européen. Un vœu partagé par Stéphane Deux, Digital Director de Transdev Group : « Nous avons besoin d’un acteur européen pérenne opérant à l’échelle mondiale », tout en reconnaissant l’intérêt de solutions souveraines 100 % françaises pour garantir l’indépendance technologique.
Bernard Giry, Directeur Général Adjoint à la transformation numérique de la Région Île-de-France, a quant à lui témoigné des impacts directs des restrictions budgétaires sur les stratégies numériques. Après une perte de 300 millions d’euros, la région a dû revoir ses priorités : « l’interopérabilité et l’APIsation sont devenues centrales pour s’adapter à des systèmes existants de plus en plus contraints, notamment dans les collectivités locales. »
La mutualisation a aussi été évoquée comme levier d’optimisation : en regroupant les achats, on massifie les déploiements et on gagne en cohérence. Romain Lucazeau, Directeur Général de la SCET, y voit une piste d’équilibre budgétaire.
La table ronde se conclut par le même constat de départ : la stratégie budgétaire ne saurait faire abstraction de l’indépendance technologique. La maîtrise des coûts passe en effet par une meilleure autonomie technologique : internalisation des compétences, réduction des dépendances et recours à des fournisseurs européens. Le multisourcing est également à privilégier pour limiter les risques de dépendance et renforcer sa résilience.
Les intervenants :
Il ne pourrait en être autrement : la transformation numérique des services publics doit avant tout viser plus de simplicité pour les citoyens et plus d’efficacité pour les agents. Pourtant, cette simplification reste difficile à mettre en œuvre.
Et pour cause, réinventer les processus administratifs implique de repenser l’architecture globale entre sphère régalienne et opérateurs privés. Cette refonte doit être guidée par les usages réels : il faut se mettre à la place des citoyens et des agents, sans compromis sur la protection des données et le consentement, tout en accompagnant la transformation dans le temps.
Valérie Mancret-Taylor, Directrice Générale de l’ANAH, a souligné que simplifier ne doit pas signifier renoncer à la sécurité, dans un contexte de fraude croissante. « Nous utilisons des APIs entre services de l’État pour fluidifier les parcours usagers, mais notre mission de service public nous impose des contrôles stricts. » Ces contrôles sont justifiés : en 2024, l’ANAH a évité 230 millions d’euros de fraude en bloquant 45 000 dossiers, soit 10 % des demandes adressées.
Pour Philippe Vrignaud, Chef de pôle « relations usagers-agents » et Directeur-Fondateur de « Démarches-Simplifiées » de la DINUM, le chemin est encore long : il faut industrialiser les processus pour gagner en productivité et en coopération européenne. Mais cette ambition se heurte à des freins culturels persistants autour du partage de données. La France se classerait d’ailleurs 21e sur 27 en Europe en matière de pré-chargement automatique des données dans les formulaires !
Cette réticence culturelle française est aussi évoquée par Anne-Gaëlle Baudouin, Préfète et Directrice France Titres ANTS, qui est revenue également sur la création d’une identité numérique pour simplifier les démarches. « Avec l’application France Identité, il est possible d’avoir sa carte d’identité sur son téléphone, le permis de conduire et bientôt d’autres titres régaliens ».
Enfin, la simplification est avant tout un levier d’amélioration pour les agents publics. Leur implication est essentielle pour assurer la réussite des projets. Elle suppose une démarche d’amélioration continue, tenant compte à la fois de l’évolution réglementaire et des retours terrain des usagers.
Les enjeux de simplification, le CSN (Conseil Supérieur du Notariat) y est confronté au quotidien. Pour Jerôme Fehrenbach, Directeur Général du CSN, le principal défi de la profession est d’intégrer des briques technologiques de confiance (la signature électronique, l’archivage électronique…) dans des process métiers très riches et très contraints par la conformité réglementaire.
Pour Gilles Babinet, Coprésident du Conseil national du numérique et entrepreneur, même si la direction prise est bonne, il manque encore selon lui une vraie démarche d’urbanisation à mettre en œuvre (API, traitements des données, KYC optimisé…) pour des développements plus rapides, plus intégrés, avec un UX transversal. Il appelle à repenser profondément l’architecture du numérique public.
La matinale a été clôturée par Olivier Sichel, Directeur Général de la Caisse des Dépôts, qui a rappelé les enjeux auxquels les acteurs publics sont confrontés : l’innovation, la sécurisation et la souveraineté. Il a également réaffirmé son engagement et celui de la Caisse des Dépôts dans le développement de solutions numériques souveraines et de confiance.
Enfin, Stéphanie Schaer, Directrice interministérielle du numérique (DINUM), a conclu en affirmant que la souveraineté ne doit pas être un frein à l’agilité ou à l’innovation. « Bien au contraire : elle s’accompagne d’une volonté de simplifier les parcours, d’ouvrir les données via des APIs, et d’outiller les agents avec des solutions modernes, y compris en matière d’intelligence artificielle. Il s’agit de rendre l’État plus efficace sans jamais renoncer à la sécurité ni à la confiance.
La transformation numérique implique aussi un changement de méthode. Le numérique public se construit désormais par itérations, dans une logique de co-construction avec les usagers, en remettant l’impact au cœur des projets.
Les défis de la transformation numérique de l’action publique ne manquent pas mais l’objectif n’est pas véritablement de transformer mais de réussir les politiques publiques. »